Extrait :
8 mars 2019
Transportée à Marseille, en unité de soins intensifs, l’inconnue a été maintenue sous surveillance constante.
En l’absence d’identité officielle, le personnel soignant de l’hôpital a choisi de l’appeler Sara, comme la Sainte patronne des Gitans, probablement à cause de ses longs cheveux noirs, de ses immenses yeux de biche et de ses nombreux bracelets qui garnissaient son poignet gauche lors de son arrivée.
Depuis son accident, deux mois plus tôt, la jeune femme n’est toujours pas sortie du coma. Deux jours après son admission, elle a été opérée par le docteur Birgue, le meilleur des spécialistes maxillo-faciaux de l’hôpital. Il s’agissait de stabiliser les différentes fractures et d’immobiliser la mâchoire en vue d’une bonne guérison osseuse. Pour ce faire, le chirurgien avait utilisé des plaques qu’il avait vissées sur ses os.
Chaque jour, l’équipe soignante assurait les soins spécifiques. Maintenue sous oxygénation et sous perfusion pour prévenir des complications de l’atteinte des fonctions supérieures, la patiente, nourrie artificiellement à l’aide d’une sonde, était fréquemment déplacée pour éviter les escarres et les contractures. Sa fracture de la mâchoire était déjà en bonne voie de guérison.
— Comment allez-vous aujourd’hui Sara ?
Légèrement penchée pour remonter l’oreiller, l’infirmière stoppe net sa phrase rituelle. Elle se redresse promptement pour appuyer sur le bouton d’appel du médecin qui arrive immédiatement.
— Docteur, elle ouvre les yeux !
— Voyons ça !
Après un rapide examen, il sourit à Tiphaine qui a été la première à s’occuper d’elle.
— On est bien sur le début de la période d’éveil. C’est une bonne évolution, disons que le disjoncteur est rétabli, mais attention, on est encore loin de la reprise de conscience. C’est seulement quand on pourra à nouveau allumer les lampes qu’on saura qui est vraiment Sara.
Avec son franc parlé et ses explications imagées, le docteur Bertignac est très apprécié de son équipe.
Faute de papiers d’identité, les autorités avaient consulté tous les avis de recherche concernant la disparition d’une femme, la trentaine, correspondant à ses caractéristiques physiques. Compte tenu de la présence d’un sac contenant des couches, un biberon, un pyjama et un doudou, ils avaient élargi leurs investigations aux signalements d’enfants ou de nouveau-nés disparus. Sans succès.
Le mystère était total.
Qui était cette jeune femme, où allait-elle ? D’où venait-elle ? Était-elle accompagnée d’un bébé ? Et si oui, qu’était devenu cet enfant ?
Les jours qui suivirent, les petits signes avant-coureurs s’intensifièrent.
Lentement, mais sûrement, Sara était passée de la phase végétative au stade de conscience réactive. Sur commande, elle était en capacité d’ouvrir les yeux, de serrer une main ou d’esquisser de légers rictus. Tiphaine ne cédait rien. Sans relâche, elle lui parlait, elle la massait… Alternant stimulation et repos, elle était parvenue à créer une véritable interaction entre elle et sa patiente.
Même s’il ne pouvait tout intégrer, le cerveau de Sara, mis en action, percevait des informations.
À ce stade, les médecins étaient incapables de se prononcer sur les séquelles éventuelles.
Le moment le plus émouvant avait été le mouvement de tête signifiant « non », à la question de Tiphaine : « Avez-vous mal ? »
Surprise par ce premier mouvement de compréhension de la jeune femme, Tiphaine avait serré si fort son poignet qu’elle avait émis un petit cri.